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samedi 23 juillet 2011

31- Rue Darwin un roman de SANSAL à paraître en septembre

Ferai-je le malin comme je l'ai lu, ferai je, disais-je, le malin en vous disant (bis) que je suis au regret de supprimer les commentaires que j'avais initialement postés ici-même et concernant le futur roman (Rue DARWIN) de Boualem Sansal à paraître le 15 septembre à la demande de....  ?
Non je ne le ferai pas.

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PLUS TARD, JE SUIS TOMBE SUR CET ARTICLE (je l'ajoute aujourd'hui 25.08.2011) :

Dans Rue Darwin, le romancier algérien brosse le formidable portrait d'une famille et d'un pays aux prises avec la fureur des hommes. Rencontre avec un esprit libre.
 

Fin juin, dans les merveilleux jardins de Gallimard, Boualem Sansal s'offre un moment de répit. L'occasion, avant de repartir dans sa ville de Boumerdès, en Algérie, d'évoquer Rue Darwin, son sixième et beau roman, peuplé de personnages étonnants qui traversent un demi-siècle d'histoire algérienne, peut-être le plus difficile à écrire. "Je suis très lié à cette histoire de famille, avoue l'auteur du Serment des barbares, alors comment raconter cela sans violer la vie des autres, sans les trahir ? C'est le genre de livre où l'on peut avoir tout faux ou tomber dans l'exhibitionnisme." Après avoir longtemps tergiversé, Boualem Sansal s'est enfin lancé, trois mois après la mort de sa mère. Tout commence là, d'ailleurs : une fratrie dispersée aux quatre coins du monde réunie autour du cercueil de la mère. C'est Yazid dit Yaz, l'aîné, qui l'a veillée jusqu'à ses derniers jours, qui est resté au pays alors que les siens fuyaient les guerres et la misère algériennes. Yaz ou Boualem ? "Il me ressemble beaucoup, en effet. Comme moi, il a vécu, enfant, dans les années 1950-1960, rue Darwin [à 100 mètres de la maison de Camus], à Belcourt, quartier populaire d'Alger. Comme moi, au fur et à mesure qu'il grandissait, il ne savait plus qui était qui, quels étaient ses frères, qui était sa mère..." Quel destin que celui de Yaz, tiraillé entre une grand-mère richissime auprès de qui il vit dans une espèce de phalanstère et deux mères qui "l'exfiltrent" à l'âge de 8 ans vers Alger ! Retour, en compagnie du courageux Sansal, sur une vie - et un pays - hors du commun. 

La Djéda, l'extraordinaire grand-mère, maquerelle de haut vol à la tête d'un empire, a-t-elle réellement existé ?
 

Oui, mon père était son fils, ou plutôt le fils de sa soeur ou d'une cousine... Lalla Sadia était la chef du clan des Kadri, une femme très puissante, qui avait des biens partout - dont de nombreuses maisons de tolérance - en Tunisie, au Maroc, en France. Elle était très possessive, personne ne lui résistait, elle gouvernait son monde comme Saddam Hussein gouvernait l'Irak. Habile, elle a su naviguer à travers tous les régimes : l'administration française, puis le FLN et, à l'indépendance, elle est devenue une héroïne. Alors que l'Algérie est en faillite, Ben Bella lance une grande opération de solidarité nationale. Tout le monde y va de son écot, la Djéda, elle, donne des quintaux d'or. Du coup, elle a l'honneur de recevoir à déjeuner le président Ben Bella et Nasser, alors en visite en Algérie. Tout cela est passé au journal télévisé. Même sa mort fut homérique : elle a fini assassinée dans des conditions obscures...

Vous écrivez : "Le temps des femmes était venu." C'est une formule ?
 

Non. Quand je fouille mon histoire, je ne vois que des femmes, Djéda, Faiza, Farroudja, Karima... Dans nos milieux traditionnels, les hommes et les femmes échangeaient peu, appartenaient à deux univers disjoints. Elles, elles étaient en conciliabule permanent, savaient plein de choses mystérieuses, leur monde était compliqué, actif. Tandis que les hommes n'étaient que des ombres. Depuis, je suis resté sur cette impression de la vacuité des hommes. Ils m'ont toujours paru falots, inutiles. A part s'asseoir, prendre du café, manger, dormir, que font-ils ?

Vous fustigez l'islam et ses imams. Cette phobie vient de loin ?
 

Mon premier contact avec la religion date de la mort de mon père, tué dans un accident de voiture alors que je n'ai que 5 ans. Les mystiques errants qui sont venus veiller son corps m'ont effrayé. Cela m'est resté. La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam.

Votre grand regret, dites-vous, est d'avoir trop longtemps fui devant l'islamisme, d'être resté silencieux...
 

La doctrine voulait que l'on se soit libéré du colonialisme par le sabre de l'islam. Pour cette raison et parce que c'était la religion de nos parents, on n'a jamais osé débattre de l'islam. C'était sacré, comme la révolution.

De nombreuses guerres nourrissent votre récit. On y entend notamment Boumediene, en 1973, lors d'un discours hallucinant, déclarer : "Plus il y a de morts, plus la victoire est belle." Fiction ou réalité ? 
 

C'est du mot à mot ! Et, quand j'ai entendu l'autre jour Kadhafi tenir à peu près le même discours, j'en ai eu la chair de poule, je me suis revu, dans cette caserne des environs d'Alger, devant Boumediene nous parlant de la "soif de sang de la terre arabe". Finalement, j'ai l'impression d'avoir passé toute ma vie à parler de guerre. Cela ne s'arrête jamais. 

Vous allez recevoir en octobre, lors de la Foire du livre de Francfort, le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands. Cela vous ravit-il et vous protège-t-il ? 
 

C'est un grand honneur, en effet ; les seuls francophones à l'avoir reçu sont Assia Djebar et Jorge Semprun... Un tel prix protège, bien sûr, comme la notoriété de manière générale. Tant que je serai sous les feux de la rampe, je serai épargné. Les journaux francophones le sont eux aussi, qui traitent Bouteflika de nabot, de nain, de voyou. En fait, cela me met mal à l'aise, car tout cela cautionne le discours du régime sur la démocratie. Cela arrange le pouvoir, qui ne craint vraiment que les émeutes populaires. 

Justement, comment expliquez-vous l'"apathie" algérienne ? 
 

Il y a plusieurs raisons. D'abord, les Algériens ont tenté leur révolution en 1988 et l'ont ratée. On reste sur cet échec cuisant qui a causé 200 000 morts, une guerre civile, un pays détruit, dispersé, atomisé. Le régime algérien a écrabouillé les révoltés jusqu'au dernier et, en guise de démocratie, a donné le FIS, les islamistes. Par ailleurs, le régime, qui est immensément riche, avec plus de 150 milliards de réserves de change placés dans le monde, a ouvert les vannes de l'importation. Ainsi, on trouve de tout en abondance, et, dès que les syndicats haussent la voix, les salariés sont augmentés. Enfin, la répression est très forte. Les quelque 1 000 à 2 000 personnes qui manifestaient le samedi sur la place du 1er-Mai à Alger étaient encerclées par 35 000 policiers au centre de la ville, tandis qu'autant de forces armées bloquaient toutes les entrées d'Alger.

Vos ouvrages sont-ils censurés ?
 

Presque tous mes livres, oui, notamment Poste restante : Alger et Le Village de l'Allemand. Ce dernier a été très mal perçu par la presse, qui s'est indignée : comment oser dire qu'un nazi a participé à la révolution ? Qu'est-il allé se mêler de la Shoah alors que les Palestiniens subissent la même chose aujourd'hui ? Je ne m'attendais pas à cette offensive systématique, aux accusations les plus invraisemblables. Personne ne m'a soutenu. Ma femme, qui est professeur, a été quasi obligée de démissionner. Moi, c'est en 2003 que j'ai été limogé du ministère de l'Industrie en raison de mes déclarations contre Bouteflika et le régime.

Tout cela ne vous a pas poussé à partir ?
 

Tous les matins ! Tous les matins, je me dis : "C'est fini, je suis fatigué, la vie est trop dure." J'ai eu des opportunités extraordinaires, mais je n'osais laisser ma mère seule. Partir est un bienfait, on sort du théâtre de la guerre, on entre dans une vie normale, mais, après la phase de joie, vient la culpabilité puis arrive le rejet. L'émigré s'emporte : "Sortez de votre fatalisme, battez-vous !" Certains, enfin, reviennent au pays et deviennent plus algériens que les Algériens, plus musulmans que les musulmans, donnant des leçons à ceux qui n'ont pas bougé ! Finalement, aujourd'hui, je pense que c'est aux hommes du pouvoir de partir. On a trop cédé, il ne faut plus céder. 
In:
http://www.lexpress.fr/culture/livre/boualem-sansal-il-faut-liberer-l-islam_1023226.htm
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A LA MEMOIRE DE MOHAMED BOUAZIZI
Par Boualem SANSAL

"Cher frère,
Je t'écris ces quelques lignes pour te faire savoir que nous allons plutôt bien mais ça dépend des jours, parfois le vent tourne, il pleut du plomb, la vie nous échappe par tous les pores. A vrai dire, je ne sais trop où on en est, quand on est dans la guerre jusqu'au cou, c'est à la fin qu'on voit s'il faut faire la fête ou porter le deuil. Et là, vient la question cruciale : faut-il suivre ou précéder les autres ; les conséquences ne sont pas les mêmes, une victoire peut tourner court et il est des défaites qui sont le début de vraies grandes victoires. A ce jeu de la mort surprise, il y a le temps d'avant et il y a le temps d'après, mais il y a un seul instant, extraordinairement fugace, pour se décider.
Regarde ces pauvres Yéménites qui se sont réjouis du départ en civière de leur misérable Saleh. Ils se sont dit : il est mort, nous allons enfin vivre. Mais le monstre est revenu à la vie, fou de colère, il sera sans pitié. Les Occidentaux hésitent à le lâcher. Pas de relève à l'horizon, il n'y a que des caciques à l'affût, des djihadistes en embuscade et des tribus armées jusqu'aux dents, on ne fait pas une démocratie avec ça.
Pareil ailleurs, les gens ne savent sur quel pied danser, Kadhafi désespère l'humanité, il refuse de mourir, Boutef désespère Dieu, il refuse de faire sa dernière prière, et que dire de l'Assad, il désespère la Mort, il tue plus vite qu'elle. Qu'il est long le "printemps arabe" et que les jours sont incertains !
Je ne dis rien sur la Tunisie, cher Mohamed, tu es le dernier que je voudrais vexer. Mais tu le sais, les caciques dans ton pays sont comme ça, increvables, malins comme des singes, doucereux comme des assureurs, ils te promettent d'une main ce qu'ils sont en train de t'enlever de l'autre. Ils le tiennent des Phéniciens qui étaient si rusés et si âpres qu'on se demande comment ils ont disparu, si vraiment ils ont disparu.
Bourguiba le grand Suffète n'était que sourires et belles manières, il déshabillait les gens par enchantement. Ce qu'il leur donnait n'était en vérité que choses leur appartenant en propre. Que la femme ait ses droits, quoi de plus naturel. C'est ce qu'il a réussi à faire, donner à la Tunisienne ce qu'elle tenait de Dieu et d'elle-même, la beauté, l'intelligence et la liberté. En Tunisie, on dit "Bourguiba nous a donné...", c'est une erreur, de ces erreurs qui mènent aux dictatures. Si quelqu'un te donne, un autre peut te le reprendre. Le Bourguiba a gardé le pouvoir trente années, autant que le Moubarak et le Saleh, et c'est un Ben Ali, sa créature, qui lui a succédé.
Il est temps d'ouvrir les yeux, il n'y a de liberté que celle qu'on se donne soi-même. Si le successeur de Ben Ali promet la liberté et la démocratie, il faut le chasser, c'est un dictateur. Les Tunisiens ont mieux à faire, n'est-ce pas, que de lui expliquer qu'ils se les sont données eux-mêmes, la liberté et la démocratie, et qu'ils attendent de lui une gestion saine du budget de l'Etat, le reste ne le concerne pas. Donc, pas de discours, pas de religion, pas de trémolos, des actes, point ! Et gare aux notables, ce sont des voleurs de révolutions.
Les autres bandits de la confrérie, les Bouteflika, les Moubarak, les Ben Ali, les Assad et consorts, avaient bien tenté d'imiter Bourguiba, mais n'est pas Bourguiba qui veut, ils revinrent vite à leur vraie nature : le meurtre, la torture, le vol.
Jésus a dit quelque chose comme ça : Celui qui fait le vin n'est pas celui qui le boit. Toi, Mohamed, noble et courageux rejeton de Sidi Bouzid, tu as délivré l'étincelle, ta tâche est terminée, il nous revient de finir le travail. Et, croix de bois, croix de fer, nous le ferons, nos enfants vivront dans la paix que nous leur préparons.
Mais voyons le fond. Celui qui ne sait où aller, peut-il trouver le chemin ? Chasser le dictateur, est-ce la fin ? De ta place, bienheureux Mohamed, tout près de Dieu, tu le sais, les chemins ne mènent pas tous à Rome, chasser le tyran ne donne pas la liberté. Les prisonniers aiment quitter une prison pour une autre, histoire de changer d'air et de gagner un petit quelque chose au passage. Et là, tu vois, j'ai peur pour nos révolutionnaires, ils manquent de perspective. En Algérie, en 1988-1989, nous avons chassé le dictateur Chadli, qui n'était pas le pire des bandits, et qu'avons-nous fait après, nous nous sommes jetés dans les bras des islamistes, nous nous sommes adonnés à corps perdus au trabendo, cette petite contrebande cancérigène, et, petits ruisseaux faisant les grandes rivières, nous avons fabriqué des trafiquants planétaires. Est-ce tout ? Que non, que non, nous avons abandonné nos enfants, ils sont allés nourrir les poissons en mer ou se sont perdus dans les cloaques de l'émigration clandestine, sur une promesse de vie stérile et courte. Et tout fiers, nous nous sommes acoquinés à un Bouteflika, le pire des bandits sur terre.
Cher Mohamed, si tu pouvais revenir, dis-leur que tu ne t'es pas immolé pour ça, tu voulais que la dictature et ses ombres, toutes ses ombres, le clanisme et le népotisme comme des camisoles de force, le racisme d'Etat et l'antisémitisme comme seul regard sur le monde, l'islamisme ou l'exil comme seules espérances, que toutes ces choses mortifères disparaissent de notre chemin et cèdent la place à la vie propre, tranquille, chaleureuse, amicale.
Cher Mohamed, cher héros, il n'est pas donné à la même personne d'allumer le feu et de cuire la soupe, mais il est juste que tous y trempent leur pain. Il nous faut nous libérer de nos maux mais aussi soigner les mesquins, les détraqués, les imams fous, les trafiquants. Sinon, on remplacera une élite ignare et corrompue par une élite jargonneuse tout aussi profiteuse, vivant pour l'essentiel en Occident où la démocratie locale les accepte mal, car telle est la démocratie, elle ne reconnaît que les siens, ceux qui se sont battus pour elle. J'ai l'impression que les choses se passent ainsi dans ce monde arabe qui tente de se réveiller de plusieurs siècles de rêvasseries et de despotisme, mais c'est vrai que dans le fracas et la fumée des répressions, on distingue mal le vrai du faux. L'urgent est impérieux, il empêche de voir loin.
C'est cela que je voulais te dire, cher Mohamed. Si tu pouvais te manifester pour nous éclairer, ce serait bien. Là-haut, vous savez l'avenir du monde."

Boualem Sansal

in:
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/06/14/boualem-sansal-romancier-algerien-a-mohamed-bouazizi_1535844_3212.html
Boualem Sansal, romancier algérien : "A Mohamed Bouazizi"    Article paru dans l'édition du 15.06.11